Innover dans l’accès à l’avortement sécurisé pour les femmes handicapées
Une jeune femme kényane queer vivant avec un handicap a été confrontée à un défi déchirant lorsqu’elle a découvert qu’elle était enceinte. Sally, une jeune femme de 23 ans, a eu du mal à accéder à des services d’avortement sécuritaire dans un pays où les avortements non sécuritaires sont l’une des principales causes de problèmes de santé et de décès parmi les femmes. Au Kenya, selon le Centre africain de recherche sur la population, le taux de grossesses non désirées est passé de 34 % en 2014 à 42 % en 2020, et les avortements non sécuritaires représentent jusqu’à 14 % des grossesses, entraînant environ 2600 décès par an. Avec un taux de mortalité maternelle de 362 pour 100 000, les femmes âgées de 25 à 39 ans comptent pour une part importante des cas de décès et de complications graves, dont jusqu’à 17 % sont potentiellement liés à des avortements provoqués.
Briser les barrières dans des conditions non sécurisé
Au Kenya, l’avortement est fortement restreint, ce qui conduit de nombreuses femmes à rechercher des méthodes non sécuritaires auprès de prestataires non qualifiés ou à prendre des remèdes maison dangereux. La situation de Sally était aggravée par sa dépendance économique vis-à-vis de son père et le manque de soutien familial. « Je suis aux prises avec une douleur émotionnelle importante et un manque de soutien de la part de ma famille, en particulier de mon père, qui m’a reniée quand j’avais 11 ans. Je me suis retrouvée dans une lutte constante pour obtenir leur approbation, mais j’ai fini par être déçue, avec une faible estime de moi-même car ils ne me reconnaissaient ni ne me soutenaient de quelque manière que ce soit. Je me suis liée à un homme qui m’a aidée financièrement pour que je puisse subvenir à mes besoins et à ceux de mes frères et sœurs », de raconter Sally.
Elle explique en outre : « Je suis tombée enceinte. Je n’avais pas prévu cette grossesse et je sentais que je n’étais pas prête à la mener à bien. De plus, l’homme a nié ma grossesse. Être lesbienne a apporté son lot de défis parce que je ne pouvais pas en parler à mes ami/e/s dans la collectivité parce que je craignais qu’ils ne m’ostracisent. Je ne savais vraiment pas quoi faire.
Réponse innovante de Women Spaces Africa
Devant ces difficultés, Sally a demandé de l’aide : « J’ai fini par trouver le courage d’en parler à une amie qui m’a présenté Céline, une championne des personnes handicapées de Women Spaces Africa qui vivait près de mon village. Céline m’a posé une série de questions. Elle avait besoin de savoir quand était le premier jour de mon dernier cycle menstruel et malheureusement, je ne pouvais pas m’en souvenir. Elle m’a dit qu’elle pouvait me donner des pilules abortives et que je pouvais avorter à la maison sans que personne ne soit impliqué, mais comme je n’étais pas sûre des dates exactes de mon dernier cycle, Céline a dû me référer à un médecin. Elle a proposé de m’accompagner pendant et après l’intervention. Elle a tenu parole et j’ai pu me faire avorter gratuitement.
Women Spaces Africa (WSA) est une organisation non gouvernementale féministe dirigée par des personnes handicapées qui s’efforce de faire respecter les droits à la santé sexuelle et reproductive des filles et des femmes handicapées. Grâce au soutien de l’Initiative OPTions, WSA s’emploie à éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les filles et les femmes handicapées pour accéder à un avortement sécuritaire en leur donnant des pilules ainsi que l’information et les conseils nécessaires et en les orientant directement vers des prestataires d’avortement abordables chaque fois que cela est requis.
De nombreuses interventions en santé sexuelle et reproductive n’incluent pas les filles et les femmes handicapées, et celles qui le font n’offrent pas de services adaptés à ces personnes. Cette intervention répond à des besoins non satisfaits en matière d’avortement sécuritaire parmi les filles et les femmes handicapées en leur fournissant directement des pilules et en les orientant vers des prestataires abordables. Leur innovation comprend un service d’accompagnement à un avortement sûr et sans jugement pour les femmes handicapées des quartiers informels de Nairobi. Des championnes formées pour défendre les personnes handicapées offrent du soutien, remettent des pilules et facilitent les références vers des prestataires d’avortements formés qui offrent des services adaptés aux personnes handicapées à des coûts subventionnés.
Phylis Mbeke, directrice exécutive de la WSA, souligne que le modèle de soins de santé autonomes pour les filles et les femmes handicapées est indispensable car il répond à leurs besoins d’accessibilité lorsqu’elles utilisent des services d’avortement. Selon l’Organisation mondiale de la santé, les interventions axées sur les soins autonomes ont le potentiel d’accroître le choix, lorsqu’elles sont accessibles et abordables, et elles peuvent offrir à ces personnes plus d’occasions de prendre des décisions éclairées concernant leur santé et leurs soins de santé. Par conséquent, les interventions axées sur les soins autonomes représentent un progrès important vers une auto-efficacité, une autonomie et un engagement en matière de santé nouveaux et accrus pour les personnes qui se soignent elles-mêmes et les aidants naturels.
Grâce à cette innovation, 298 femmes handicapées ont reçu de l’aide afin de pouvoir avorter dans des conditions sûres, en leur fournissant directement des pilules et en les
orientant vers des prestataires de services d’avortement. En outre, 39 établissements de santé publique ont été formés aux protocoles d’avortement de l’Organisation mondiale de la santé et à la prestation de services d’avortement adaptés aux personnes handicapées. Elles ont démontré une attitude positive à l’égard des femmes handicapées et de leur droit à l’avortement. Certains fournisseurs pratiquent des tarifs subventionnés, tandis que d’autres offrent des services d’avortement gratuits aux filles et aux femmes handicapées à la suite de l’intervention.
L’innovation sera déployée pour desservir un plus grand nombre de filles et de femmes handicapées, en continuant de cibler Nairobi et une nouvelle zone à Mombasa. WSA s’adresse à des organisations de personnes handicapées dirigées par des femmes pour qu’elles adoptent cette innovation.
Un suivi de Sally après l’avortement a révélé qu’elle était positive et heureuse et avait, depuis, ouvert un petit salon de coiffure. « Cela fait deux mois que j’ai avorté et je me sens soulagée. J’ai encore de longues conversations avec Céline, qui reste une présence constante et compréhensive. Je trouve aussi du réconfort dans la tenue d’un journal et la création artistique. Je suis déterminée à améliorer ma vie et à devenir indépendante financièrement. Avec le soutien de Céline et de Women Spaces Africa, j’ai commencé à m’engager en tant que défenseure des droits à la santé reproductive et des questions LGBTQ+ en partageant mon récit pour aider d’autres filles et femmes handicapées à se sentir moins seules dans leur parcours d’avortement », a dit Sally.
Sally affirme que, « pour les personnes handicapées, le droit de choisir l’avortement n’est pas seulement une question de liberté personnelle; il s’agit de s’assurer que chaque personne ait la possibilité de vivre une vie qui corresponde à ses propres capacités et aspirations. Les femmes handicapées devraient pouvoir accéder à des services d’avortement de qualité acceptables à un coût abordable, sans jugement.
Cette histoire est partagée par Women Spaces Africa.
Les noms des personnes dans l’histoire ont été modifiés pour protéger leur vie privée.